Ne serait-ce donc que pour des prêtres, des inspirés, des métaphysiciens que serait réservée la conviction de l’existence d’un Dieu, que l’on dit néanmoins si nécessaire à tout le genre humain? Mais trouvons-nous de l’harmonie entre les opinions théologiques des différens inspirés, ou des penseurs répandus sur la terre? Ceux même qui font profession d’adorer le même Dieu, sont-ils d’accord sur son compte? Sont-ils contents des preuves que leurs collègues apportent de son existence? Souscrivent-ils unanimement aux idées qu’ils présentent sur sa nature, sur sa conduite, sur la façon d’entendre ses prétendus oracles? Est-il une contrée sur la terre où la science de Dieu se soit réellement perfectionnée? A-t-elle pris quelque part la consistance et l’uniformité que nous voyons prendre aux connaissances humaines, aux arts les plus futiles, aux métiers les plus méprisés? Ces mots d’esprit, d’immatérialité, de création, de prédestination, de grâce; cette foule de distinctions subtiles dont la théologie s’est partout remplie dans quelques pays, ces inventions si ingénieuses, imaginées par des penseurs qui se sont succédés depuis tant de siècles, n’ont fait, hélas! qu’embrouiller les choses, et jamais la science la plus nécessaire aux hommes n’a jusqu’ici pu acquérir la moindre fixité. Depuis des milliers d’années ces rêveurs oisifs se sont perpétuellement relayés pour méditer la Divinité, pour deviner ses voies cachées, pour inventer des hypothèses propres à développer cette énigme importante. Leur peu de succès n’a point découragé la vanité théologique; toujours on a parlé de Dieu: on s’est égorgé pour lui, et cet être sublime demeure toujours le plus ignoré et le plus discuté.

Les hommes auraient été trop heureux, si, se bornant aux objets visibles qui les intéressent, ils eussent employé à perfectionner leurs sciences réelles, leurs lois, leur morale, leur éducation, la moitié des efforts qu’ils ont mis dans leurs recherches sur la Divinité. Ils auraient été bien plus sages encore, et plus fortunés, s’ils eussent pu consentir à laisser leurs guides désœuvrés se quereller entre eux, et sonder des profondeurs capables de les étourdir, sans se mêler de leurs disputes insensées. Mais il est de l’essence de l’ignorance d’attacher de l’importance à ce qu’elle ne comprend pas. La vanité humaine fait que l’esprit se roidit contre des difficultés. Plus un objet se dérobe à nos yeux, plus nous faisons d’efforts pour le saisir, parce que dès-lors il aiguillonne notre orgueil, il excite notre curiosité, il nous paraît intéressant. En combattant pour son Dieu chacun ne combattit en effet que pour les intérêts de sa propre vanité, qui de toutes les passions produites par la mal-organisation de la société est la plus prompte à s’alarmer, et la plus propre à produire de très grandes folies.

Si écartant pour un moment les idées fâcheuses que la théologie nous donne d’un Dieu capricieux, dont les décrets partiaux et despotiques décident du sort des humains, nous ne voulons fixer nos yeux que sur la bonté prétendue, que tous les hommes, même en tremblant devant ce Dieu, s’accordent à lui donner; si nous lui supposons le projet qu’on lui prête de n’avoir travaillé que pour sa propre gloire, d’exiger les hommages des êtres intelligens; de ne chercher dans ses œuvres que le bien-être du genre humain: comment concilier ces vues et ces dispositions avec l’ignorance vraiment invincible dans laquelle ce Dieu, si glorieux et si bon, laisse la plupart des hommes sur son compte? Si Dieu veut être connu, chéri, remercié, que ne se montre-t-il sous des traits favorables à tous ces êtres intelligens dont il veut être aimé et adoré? Pourquoi ne point se manifester à toute la terre d’une façon non équivoque, bien plus capable de nous convaincre que ces révélations particulières qui semblent accuser la Divinité d’une partialité fâcheuse pour quelques-unes de ses créatures? Le tout-puissant n’aurait-il donc pas des moyens plus convainquans de se montrer aux hommes que ces métamorphoses ridicules, ces incarnations prétendues, qui nous sont attestées par des écrivains si peu d’accord entre eux dans les récits qu’ils en font? Au lieu de tant de miracles, inventés pour prouver la mission divine de tant de législateurs révérés par les différens peuples du monde, le souverain des esprits ne pouvait-il pas convaincre tout d’un coup l’esprit humain des choses qu’il a voulu lui faire connaître? Au lieu de suspendre un soleil dans la voûte du firmament; au lieu de répandre sans ordre les étoiles et les constellations qui remplissent l’espace, n’eût-il pas été plus conforme aux vues d’un Dieu si jaloux de sa gloire et si bien-intentionné pour l’homme d’écrire, d’une façon non sujette à dispute, son nom, ses attributs, ses volontés permanentes en caractères ineffaçables, et lisibles également pour tous les habitants de la terre? Personne alors n’aurait pu douter de l’existence d’un Dieu, de ses volontés claires, de ses intentions visibles. Sous les yeux de ce Dieu si terrible, personne n’aurait eu l’audace de violer ses ordonnances; nul mortel n’eût osé se mettre dans le cas d’attirer sa colère: enfin nul homme n’eût eu le front d’en imposer en son nom, ou d’interpréter ses volontés suivant ses propres fantaisies.


  By PanEris using Melati.

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