Paul Verlaine

312   Sérénade COMME la voix d'un mort qui chanterait
       Du fond de sa fosse,
Maîtresse, entends monter vers ton retrait
       Ma voix aigre et fausse.

Ouvre ton âme et ton oreille au son
       De la mandoline:
Pour toi j'ai fait, pour toi, cette chanson
       Cruelle et câline.

Je chanterai tes yeux d'or et d'onyx
       Purs de toutes ombres,
Puis le Léthé de ton sein, puis le Styx
       De tes cheveux sombres.

Comme la voix d'un mort qui chanterait
       Du fond de sa fosse,
Maîtresse, entends monter vers ton retrait
       Ma voix aigre et fausse.

Puis je louerai beaucoup, comme il convient,
       Cette chair bénie
Dont le parfum opulent me revient
       Les nuits d'insomnie.

Et pour finir, je dirai le baiser
       De ta lèvre rouge,
Et ta douceur à me martyriser,
       --Mon Ange! --ma Gouge!

Ouvre ton âme et ton oreille au son
       De ma mandoline:
Pour toi j'ai fait, pour toi, cette chanson
       Cruelle et câline.


313   Chanson d'Automne LES sanglots longs
Des violons
  De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
  Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
  Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
  Et je pleure;

Et je m'en vais
Au vent mauvais
  Qui m'emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
  Feuille morte.


314   Mon Rêve familier JE fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse? -- Je l'ignore.
Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.


315   Colloque sentimental DANS le vieux parc solitaire et glacé,
Deux formes ont tout à l'heure passé.

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux spectres ont évoqué le passé.

-- Te souvient-il de notre extase ancienne?
-- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne?

-- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
Toujours vois-tu mon âme en rêve? -- Non.

-- Ah! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches! -- C'est possible

-- Qu'il était bleu, le ciel, et grand l'espoir!
--L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.


316   Après trois Ans AYANT poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu'éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.

Rien n'a changé. J'ai tout revu: l'humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin ...
Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.


  By PanEris using Melati.

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