Ainsi jusqu'à ses pieds l'homme t'a fait descendre;
Son fer a dépecé les rameaux et le tronc;
Cet être harmonieux sera fumée et cendre,
Et la terre et le vent se le partageront!

Mais n'est-il rien de toi qui subsiste et qui dure?
Où s'en vont ces esprits d'écorce recouverts?
Et n'est-il de vivant que l'immense nature,
Une au fond, mais s'ornant de mille aspects divers?

Quel qu'il soit, cependant, ma voix bénit ton être
Pour le divin repos qu'à tes pieds j'ai goûté.
Dans un jeune univers, si tu dois y renaître,
Puisses-tu retrouver ta force et ta beauté!

Car j'ai pour les forêts des amours fraternelles;
Poète vêtu d'ombre, et dans la paix rêvant,
Je vis avec lenteur, triste et calme; et, comme elles,
Je porte haut ma tête, et chante au moindre vent.

Je crois le bien au fond de tout ce que j'ignore;
J'espère malgré tout, mais nul bonheur humain:
Comme un chêne immobile, en mon repos sonore,
J'attends le jour de Dieu qui nous luira demain.

En moi de la forêt le calme s'insinue;
De ses arbres sacrés, dans l'ombre enseveli,
J'apprends la patience aux hommes inconnue,
Et mon coeur apaisé vit d'espoir et d'oubli.

Mais l'homme fait la guerre aux forêts pacifiques;
L'ombrage sur les monts recule chaque jour;
Rien ne nous restera des asiles mystiques
Où l'âme va cueillir la pensée et l'amour.

Prends ton vol, ô mon coeur! la terre n'a plus d'ombres,
Et les oiseaux du ciel, les rêves infinis,
Les blanches visions qui cherchent les lieux sombres
Bientôt n'auront plus d'arbre où déposer leurs nids.

La terre se dépouille et perd ses sanctuaires;
On chasse des vallons ses hôtes merveilleux;
Les dieux aimaient des bois les temples séculaires,
La hache a fait tomber les chênes et les dieux.

Plus d'autels, plus d'ombrages et de paix abritée,
Plus de rites sacrés sous les grands dômes verts!
Nous léguons à nos fils la terre dévastée,
Car nos pères nous ont légué des cieux déserts.

II

Ainsi tu gémissais, poète, ami des chênes,
Toi qui gardes encor le culte des vieux jours.
Tu vois l'homme altéré sans ombre et sans fontaines...
Va! l'antique Cybèle enfantera toujours!

Lève-toi! c'est assez pleurer sur ce qui tombe;
La lyre doit savoir prédire et consoler;
Quand l'esprit te conduit sur le bord d'une tombe,
De vie et d'avenir c'est pour nous y parler.

Crains-tu de voir tarir la sève universelle,
Parce qu'un chêne est mort et qu'il était géant?
Ô poète! âme ardente, en qui l'amour ruisselle,
Organe de la vie, as-tu peur du néant?

Va! l'oeil qui nous réchauffe a plus d'un jour à luire;
Le grand semeur a bien des graines à semer.
La nature n'est pas lasse encor de produire:
Car, ton coeur le sait bien, Dieu n'est pas las d'aimer.

Tandis que tu gémis sur cet arbre en ruines,
Mille germes là-bas, déposés en secret,
Sous le regard de Dieu veillent dans ces collines,
Tout prêts à s'élancer en vivante forêt.

Nos fils pourront aimer et rêver sous leurs dômes,
Le poète adorer la nature et chanter;
Dans l'ombreux labyrinthe où tu vois des fantômes,
Un idéal plus pur viendra les visiter.

Croissez sur nos débris, croissez, forêts nouvelles!
Sur vos jeunes bourgeons nous verserons nos pleurs:
D'avance je vous vois, plus fortes et plus belles,
Faire un plus doux ombrage à des hôtes meilleurs.

Vous n'abriterez plus de sanglants sacrifices;
L'âge emporte les dieux ennemis de la paix.
Aux chants, aux jeux sacrés vos séjours sont propices;
Votre mousse aux loisirs offre des lits épais.


  By PanEris using Melati.

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