Louis de Fontanes

203   A M. de Chateaubriand LE Tasse errant de ville en ville,
Un jour, accablé de ses maux,
S'assit près du laurier fertile
Qui sur la tombe de Virgile
Étend toujours ses verts rameaux.

En contemplant l'urne sacrée,
Ses yeux de larmes sont couverts;
Et là, d'une voix éplorée,
Il raconte à l'ombre adorée
Les longs tourments qu'il a soufferts.

Il veut fuir l'ingrate Ausonie,
Des talents il maudit le don,
Quand, touché des pleurs du génie,
Devant le chantre d'Herminie
Paraît le chantre de Didon.

`Eh quoi! dit-il, tu fis Armide,
Et tu peux accuser ton sort!
Souviens-toi que le Méonide,
Notre modèle et notre guide,
Ne devint grand qu'après sa mort.

`L'infortune en sa coupe amère
L'abreuva d'affronts et de pleurs;
Et, quelque jour, un autre Homère
Doit au fond d'une île étrangère
Mourir aveugle et sans honneurs.

`Ainsi les maîtres de la lyre
Partout exhalent leurs chagrins:
Vivants, la haine les déchire;
Et ces dieux que la terre admire
Ont peu compté de jours sereins.

`Longtemps la gloire fugitive
Semble troubler leur noble orgueil;
La gloire en vain pour eux arrive,
Et toujours sa palme tardive
Croît plus belle au pied d'un cercueil.

`Torquato, d'asile en asile
L'envie ose en vain t'assiéger;
Enfant des Muses, sois tranquille:
Ton Renaud vivra comme Achille;
L'arrêt du temps doit te venger.

`Le bruit confus de la cabale
A tes pieds va bientôt mourir;
Bientôt à moi-même on t'égale,
Et pour ta pourpre triomphale
Le Capitole va s'ouvrir.'

Les derniers mots que l'ombre achève
Du Tasse ont calmé les regrets;
Plein de courage il se relève
Et, tenant sa lyre et son glaive,
Du destin brave tous les traits.

Chateaubriand, le sort du Tasse
Doit t'instruire et te consoler.
Trop heureux qui, suivant ta trace,
Au prix de la même disgrâce,
Dans l'avenir peut t'égaler!
Contre toi du peuple critique
Que peut l'injuste opinion?

Tu retrouvas la muse antique
Sous la poussière poétique
Et de Solyme et d'Ilion.

Du grand peintre de l'Odyssée
Tous les trésors te sont ouverts,
Et dans ta prose cadencée
Les soupirs de Cymodocée
Ont la douceur des plus beaux vers.

Aux regrets d'Eudore coupable
Je trouve un charme différent;
Et tu joins dans la même fable
Ce qu'Athène a de plus aimable,
Ce que Sion a de plus grand.


  By PanEris using Melati.

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