marins au fond de l'onde,
Tigres dans les forêts, alouettes aux champs.
    Une pourtant de ces dernières
Avait laissé passer la moitié d'un printemps
Sans goûter le plaisir des amours printanières.
A toute force enfin elle se résolut
D'imiter la Nature, et d'être mère encore.
Elle bâtit un nid, pond, couve, et fait éclore,
A la hâte: le tout alla du mieux qu'il put.
Les blés d'alentour mûrs avant que la nitée
    Se trouvât assez forte encor
    Pour voler et prendre l'essor,
De mille soins divers l'alouette agitée
S'en va chercher pâture, avertit ses enfants
D'être toujours au guet et faire sentinelle.
    `Si le possesseur de ces champs
Vient avecque son fils, comme il viendra, dit-elle,
    Écoutez bien: selon ce qu'il dira,
      Chacun de nous décampera.'
Sitôt que l'alouette eut quitté sa famille,
Le possesseur du champ vint avecque son fils.
`Ces blés sont mûrs, dit-il: allez chez nos amis

Les prier que chacun, apportant sa faucille,
Nous vienne aider demain dès la pointe du jour.'
    Notre alouette, de retour,
    Trouve en alarme sa couvée.
L'un commence: `Il a dit que, l'aurore levée,
L'on fît venir demain ses amis pour l'aider.
-- S'il n'a dit que cela, repartit l'alouette,
Rien ne nous presse encor de changer de retraite;
Mais c'est demain qu'il faut tout de bon écouter.
Cependant soyez gais; voilà de quoi manger.'
Eux repus, tout s'endort, les petits et la mère.
L'aube du jour arrive, et d'amis point du tout.
L'alouette à l'essor, le maître s'en vient faire
    Sa ronde ainsi qu'à l'ordinaire.
`Ces blés ne devraient pas, dit-il, être debout.
Nos amis ont grand tort, et tort qui se repose
Sur de tels paresseux, à servir ainsi lents.
    Mon fils, allez chez nos parents,
    Les prier de la même chose.'
L'épouvante est au nid plus forte que jamais:
`Il a dit ses parents, mère! c'est à cette heure ...
    -- Non, mes enfants; dormez en paix:
    Ne bougeons de notre demeure.'
L'alouette eut raison; car personne ne vint.
Pour la troisième fois le maître se souvint
De visiter ses blés. `Notre erreur est extrême,
Dit-il, de nous attendre à d'autres gens que nous.
Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même.
Retenez bien cela, mon fils. Et savez-vous
Ce qu'il faut faire? Il faut qu'avec notre famille
Nous prenions dès demain chacun une faucille:
C'est là notre plus court; et nous achèverons
    Notre moisson quand nous pourrons.'

Dès lors que ce dessein fut su de l'alouette:
`C'est ce coup qu'il est bon de partir, mes enfants!'
    Et les petits, en même temps,
    Voletants, se culebutants,
    Délogèrent tous sans trompette.


163   Le Savetier et le Financier UN savetier chantait du matin jusqu'au soir:
C'était merveille de le voir,
Merveille de l'ouïr; il faisait des passages,
    Plus content qu'aucun des sept sages.
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or,
    Chantait peu, dormait moins encor:
    C'était un homme de finance.
Si sur le point du jour parfois il sommeillait,
Le savetier alors en chantant l'éveillait;
Et le financier se plaignait
    Que les soins de la Providence
N'eussent pas au marché fait vendre le dormir
    Comme le manger et le boire.
    En son hôtel il fait venir
Le chanteur, et lui dit: `Or çà, sire Grégoire,
Que gagnez-vous par an? -- Par an! ma foi, Monsieur,
    Dit avec un ton de rieur
Le gaillard savetier, ce n'est point ma manière
De compter de la sorte; et je n'entasse guère
 Un jour sur l'autre: il suffit qu'à la fin
    J'attrape le bout de l'année;
    Chaque jour amène son pain.
 -- Eh bien! que gagnez- vous, dites-moi, par journée?
 -- Tantôt plus, tantôt moins: le mal est que toujours

(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes),
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours
 Qu'il faut chômer; on nous ruine en fêtes;
L'une fait tort à l'autre; et monsieur le curé
De quelque nouveau saint charge toujours son prône.'
Le financier, riant de sa naïveté,
Lui dit: `Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône.
Prenez ces cent écus; gardez-les avec soin,
  Pour vous en servir au besoin.'
Le savetier crut voir tout l'argent que la terre
    Avait, depuis plus de cent ans,
    Produit pour l'usage des gens.
Il retourne chez lui: dans sa cave il enserre
    L'argent, et sa joie à la fois.
Plus de chant: il perdit la voix
Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines.
    Le sommeil quitta son logis:
    Il eut pour hôtes les soucis,
    Les soupcons, les alarmes vaines.
Tout le jour il avait l'oeil au guet; et la nuit,
    Si quelque chat faisait du bruit,
Le chat prenait l'argent. A la fin le pauvre homme
S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus:
`Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
    Et reprenez vos cent écus.'


164   Invocation ODOUCE Volupté, sans qui, dès notre enfance,
Le vivre et le mourir nous deviendraient égaux;
Aimant universel de tous les animaux,
Que tu sais attirer avecque violence!

    Par toi tout se meut ici-bas.
    C'est pour toi, c'est pour tes appas,
    Que nous courons après la peine:
    Il n'est soldat, ni capitaine,
Ni ministre d'État, ni prince, ni sujet,
    Qui ne t'ait pour unique objet.
Nous autres nourrissons, si, pour fruit de nos veilles
Un bruit délicieux ne charmait nos oreilles,
Si nous ne nous sentions chatouillés de ce son,
    Ferions-nous un mot de chanson?
Ce qu'on appelle gloire en termes magnifiques,
Ce qui servait


  By PanEris using Melati.

Previous chapter/page Back Home Email this Search Discuss Bookmark Next chapter/page
Copyright: All texts on Bibliomania are © Bibliomania.com Ltd, and may not be reproduced in any form without our written permission. See our FAQ for more details.