Louise Labé

110   Sonnets TOUT aussitot que je commence à prendre
Dens le mol lit le repos desiré,
Mon triste esprit hors de moy retiré
S'en va vers toy incontinent se rendre.

Lors m'est avis que, dedens mon sein tendre,
Je tiens le bien où j'ay tant aspiré,
Et pour lequel j'ay si haut souspiré,
Que de sanglots ay souvent cuidé fendre.

O dous sommeil, ô nuit à moy heureuse!
Plaisant repos, plein de tranquilité,
Continuez toutes les nuits mon songe;

Et si jamais ma povre ame amoureuse
Ne doit avoir de bien en verité,
Faites au moins qu'elle en ait en mensonge.

111   ii TANT que mes yeus pourront larmes espandre,
A l'heur passé avec toy regretter;
Et qu'aus sanglots et soupirs resister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre;
Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignart lut, pour tes graces chanter;
Tant que l'esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toy comprendre;

Je ne souhaitte encore point mourir:
Mais, quand mes yeus je sentiray tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,

Et mon esprit, en ce mortel sejour,
Ne pouvant plus montrer signe d'amante;
Priray la Mort noircir mon plus cler jour.

112   iii NE reprenez, Dames, si j'ay aymé;
Si j'ay senti mile torches ardantes,
Mile travaus, mile douleurs mordantes:
Si en pleurant j'ay mon tems consumé,

Las! que mon nom n'en soit par vous blasmé,
Si j'ay failli, les peines sont presentes;
N'aigrissez point leurs pointes violentes:
Mais estimez qu'Amour, à point nommé,

Sans votre ardeur d'un Vulcan excuser,
Sans la beauté d'Adonis acuser,
Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses:

En ayant moins que moi d'ocasion,
Et plus d'estrange et forte passion;
Et gardez-vous d'estre plus malheureuses.


113   Elegie QUAND vous lirez, ô Dames Lionnoises,
Ces miens escrits pleins d'amoureuses noises,
Quand mes regrets, ennuis, despits et larmes
M'orrez chanter en pitoyables carmes,
Ne veuillez pas condamner ma simplesse,
Et jeune erreur de ma folle jeunesse,
Si c'est erreur: mais qui dessous les Cieus
Se peut vanter de n'estre vicieus?
L'un n'est content de sa sorte de vie,
Et tousjours porte à ses voisins envie:
L'un, forcenant de voir la paix en terre,
Par tous moyens tache y mettre la guerre
L'autre, croyant povreté estre vice,
A autre Dieu qu'or ne fait sacrifice:
L'autre sa foy parjure il emploira
A decevoir quelcun qui le croira:
L'un en mentant de sa langue lezarde,
Mile brocars sur l'un et l'autre darde:
Je ne suis point sous ces planettes née,
Qui m'ussent pù tant faire infortunée.
Onques ne fut mon oeil marri, de voir
Chez mon voisin mieus que chez moy pleuvoir.
Onq ne mis noise ou discord entre amis:
A faire gain jamais ne me soumis.
Mentir, tromper, et abuser autrui,
Tant m'a desplu, que mesdire de lui.
Mais si en moy rien y ha d'imparfait,
Qu'on blame Amour: c'est lui seul qui l'a fait,
Sur mon verd aage en ses laqs il me prit,
Lors qu'exerçois mon corps et mon esprit

En mile et mile euvres ingenieuses,
Qu'en peu de temps me rendit ennuieuses.
Pour bien savoir avecque l'esguille peindre
J'eusse entrepris la renommée esteindre
De celle là, qui, plus docte que sage,
Avec Pallas comparoit son ouvrage.
Qui m'ust vù lors en armes fiere aller,
Porter la lance et bois faire voler,
Le devoir faire en l'estour furieus,
Piquer, volter le cheval glorieus,
Pour Bradamante, ou la haute Marphise,
Seur de Roger, il m'ust, possible, prise.
Mais quoy? Amour ne peut longuement voir
Mon coeur n'aymant que Mars et le savoir:
Et me voulant donner autre souci,
En souriant, il me disoit ainsi:
`Tu penses donq, ô Lionnoise Dame,
Pouvoir fuir par ce moyen ma flamme:
Mais non feras; j'ay subjugué les Dieus
Es bas Enfers, en la Mer et es Cieus,
Et penses tu que n'aye tel pouvoir
Sur les humeins, de leur faire savoir
Qu'il n'y ha


  By PanEris using Melati.

Previous chapter Back Home Email this Search Discuss Bookmark Next chapter/page
Copyright: All texts on Bibliomania are © Bibliomania.com Ltd, and may not be reproduced in any form without our written permission. See our FAQ for more details.