Joachim du Bellay

Sonnets

74   i VOUS qui aux bois, aux fleuves, aux campaignes,
A cri, à cor, et à course hative
Suivez des cerfz la trace fugitive
Avec Diane, et les Nymphes compaignes:

Et toi ô Dieu! qui mon rivage baignes,
A tu point veu une Nymphe craintive,
Qui va menant ma liberté captive
Par les sommez des plus haultes montaignes?

Helas enfans! si le sort malheureux
Vous monstre à nu sa cruelle beauté,
Que telle ardeur longuement ne vous tienne.

Trop fut celuy chasseur avantureux,
Qui de ses chiens sentit la cruauté,
Pour avoir veu la chaste Cyntienne.

75   ii SI nostre vie est moins qu'une journée
En l'eternel, si l'an qui faict le tour
Chasse noz jours sans espoir de retour,
Si perissable est toute chose née,

Que songes-tu, mon ame emprisonnée?
Pourquoy te plaist l'obscur de nostre jour,
Si pour voler en un plus cler sejour
Tu as au dos l'aele bien empanée?

La est le bien que tout esprit desire,
La, le repos ou tout le monde aspire,
La est l'amour, la, le plaisir encore.

La, ô mon ame, au plus hault ciel guidée,
Tu y pourras recongnoistre l'Idée
De la beauté, qu'en ce monde j'adore.

76   iii FRANCE, mere des arts, des armes, et des loix,
Tu m'as nourry long temps du laict de ta mamelle:
Ores, comme un aigneau qui sa nourrisse appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m'as pour enfant advoué quelquefois,
Que ne me respons-tu maintenant, ô cruelle?
France, France, respons à ma triste querelle:
Mais nul, sinon Echo, ne respond à ma voix.

Entre les loups cruels j'erre parmy la plaine,
Je sens venir l'hyver, de qui la froide haleine
D'une tremblante horreur fait herisser ma peau.

Las! tes autres aigneaux n'ont faute de pasture,
Ils ne craignent le loup, le vent, ny la froidure:
Si ne suis-je pourtant le pire du troppeau.

77   iv MALHEUREUX l'an, le mois, le jour, l'heure,
et le poinct,
Et malheureuse soit la flateuse esperance,
Quand pour venir icy j'abandonnay la France:
La France, et mon Anjou, dont le desir me poingt.
Vrayment d'un bon oyseau guidé je ne fus point,
Et mon coeur me donnoit assez significance,
Que le ciel estoit plein de mauvaise influence,
Et que Mars estoit lors à Saturne conjoint.
Cent fois le bon advis lors m'en voulut distraire,
Mais tousjours le destin me tiroit au contraire:
Et si mon desir n'eust aveuglé ma raison,
N'estoit- ce pas assez pour rompre mon voyage,
Quand sur le sueil de l'huis, d'un sinistre presage,
Je me blessay le pied sortant de ma maison?

78   v HEUREUX qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son aage!
Quand revoiray- je, helas, de mon petit village
Fumer la cheminée: et en quelle saison
Revoiray-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup d'avantage?
Plus me plaist le sejour qu'ont basty mes ayeux,
Que des palais Romains le front audacieux:
Plus que le marbre dur me plaist l'ardoise fine,
Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin,
Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur Angevine.


  By PanEris using Melati.

Previous chapter Back Home Email this Search Discuss Bookmark Next chapter/page
Copyright: All texts on Bibliomania are © Bibliomania.com Ltd, and may not be reproduced in any form without our written permission. See our FAQ for more details.